Une meilleure colle pour de meilleures routes

Simon Hesp posing outdoors, wearing a yellow construction hat and high-visibility vest, next to a road being built. We see a roller-compactor and asphalt paver in the background, under a nice blue sky with whispy clouds.
(Crédit photo : Simon Hesp)

Pour que les résultats de la recherche se traduisent par de nouvelles connaissances, de nouveaux produits et de nouveaux procédés, il faut favoriser une interaction dynamique entre la recherche axée sur la découverte et la recherche innovante. Le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) soutient les collaborations entre les établissements, les chercheuses et chercheurs et les chefs de file de l’industrie afin d’accélérer l’application des résultats de la recherche axée sur la découverte en vue d’en tirer des avantages sur le plan social, environnemental et économique.

Les travaux de recherche en partenariat et de recherche axée sur la découverte de Simon Hesp, chercheur financé depuis longtemps par le CRSNG, ont permis d’établir de nouvelles normes d’essai pour les liants bitumineux et d’optimiser les procédés en utilisant les sables bitumineux de l’Alberta. Nous nous sommes entretenus avec M. Hesp, professeur titulaire au département de chimie de la Queen’s University et éminent spécialiste des liants bitumineux, pour mieux comprendre ses travaux novateurs, les défis qu’il a dû relever et les motivations qui l’ont poussé dans sa quête de découverte.

Monsieur Hesp, vous vous intéressez aux liants bitumineux depuis plus de trente ans. Qu’est-ce qui a motivé ce choix?

Je suis originaire des Pays-Bas et, en 1983, je me suis arrêté à l’université de Toronto où j’ai rencontré un professeur, le regretté James Guillet, un chimiste spécialiste des polymères. J’ai vécu ma première expérience de recherche en tant qu’étudiant de premier cycle dans le laboratoire du professeur Guillet et, après un stage de quatre mois, j’ai eu la piqûre pour la recherche en chimie des polymères. Après avoir obtenu ma maîtrise, j’ai travaillé pendant environ un an dans un laboratoire d’Hitachi à Tokyo, au Japon, où j’ai pratiqué la photolithographie, qui permet d’« écrire » sur des micropuces à l’aide de la lumière.

Finalement, j’ai décidé de faire un virage à 180 degrés dans ma carrière et de voir comment je pouvais être utile à la société et aux contribuables canadiens. Je me suis joint à un groupe de recherche en génie chimique à l’université de Toronto pour étudier les polymères et leurs effets sur le liant qui tient nos routes ensemble. Depuis mon premier contact avec cette matière collante à l’université Queen’s, je n’ai cessé de m’y intéresser. C’est un travail passionnant et nous avons eu de très bons résultats au fil des ans.

Le CRSNG a eu le privilège de soutenir vos travaux par l’entremise de divers programmes, dont son programme phare de subventions à la découverte. Quelles ont été les retombées de ce financement soutenu sur votre programme de recherche?

Les subventions à la découverte sont axées sur la recherche. La recherche, c’est la découverte. Au début de ma carrière, il était difficile d’obtenir du financement pour la recherche sur l’asphalte, surtout pour un jeune chercheur comme moi à Kingston, en Ontario. Les subventions à la recherche du CRSNG m’ont permis de mener librement mes travaux sur les causes fondamentales de la dégradation des routes, sans avoir de lien avec l’industrie ou d’intérêts commerciaux. Je voulais contribuer à la construction de meilleures routes, et les entreprises ont parfois des objectifs légèrement différents. Ma subvention à la découverte m’a permis d’explorer des domaines qui ne sont pas nécessairement pris en compte dans les grands projets et contrats du secteur privé.

Comment la recherche axée sur la découverte a-t-elle mené à la mise au point d’un meilleur asphalte pour les routes canadiennes? 

Au cours de mes premières années de recherche, j’ai fait fausse route. J’ai adopté une approche réductionniste en pensant que si les routes se fissuraient, c’est qu’il fallait un matériau plus résistant. L’asphalte est un mélange plutôt complexe qui nécessite une analyse détaillée, car il existe de nombreux facteurs de dégradation qui interagissent entre eux. C’est un problème trop complexe pour se contenter d’une approche réductionniste.

En 2000, j’ai décidé d’examiner de très vieilles chaussées à travers l’Ontario. Je me suis rendu à Hearst, à Petawawa et à Bracebridge, de même qu’à Lamont, en Alberta, pour prélever des échantillons de chaussée. Il s’agissait de tronçons d’essai ayant la même conception et épaisseur, et exposés à une circulation et à un climat similaire, mais certains étaient en parfait état alors que d’autres étaient très endommagés. La seule différence était la composition du liant bitumineux, c’est-à-dire de la colle.

En 2009, nous avons découvert par hasard que de nombreux liants étaient contaminés par des résidus d’huile moteur. Un lubrifiant ne peut pas être mélangé à un adhésif : les routes se dégradaient si rapidement que c’était tout simplement insoutenable. Pour éviter cela, il nous fallait des méthodes d’essai sensibles, exactes et précises qui tiennent compte de la circulation et du climat, afin de choisir un meilleur asphalte. J’ai collaboré avec le ministère des Transports de l’Ontario, de nombreuses municipalités de la province et certains États des États-Unis, qui utilisent désormais des tests que nous avons mis au point.

Le CRSNG a aussi eu le privilège de soutenir vos travaux au moyen de subventions à la recherche menée en partenariat. Comment avez-vous tiré parti de ces partenariats avec le gouvernement et l’industrie?

Grâce aux subventions à la recherche en partenariat du CRSNG, j’ai pu équiper mon laboratoire pour qu’il rivalise avec les autres laboratoires dans le monde. Le programme des subventions de recherche et développement coopérative a été fantastique; il m’a permis de réunir les fonds nécessaires à ces travaux de recherche et de soutenir environ 200 étudiantes et étudiants qui ont travaillé dans mon laboratoire au fil des ans.

J’ai cru comprendre que le programme Alliance avait un peu changé, et pour le mieux, car vous faites maintenant coïncider le financement octroyé et celui accordé par les institutions gouvernementales indépendantes. C’est un gros plus, car mes travaux de recherche intéressent surtout les organismes gouvernementaux. Plus de la moitié du financement que j’ai reçu au cours de ma carrière provenait du CRSNG, et il a permis de mettre au point des méthodes d’essai très utiles grâce aux données que nous avons obtenues.

Où peut-on trouver des routes pour lesquelles les procédés que vous avez mis au point ont été utilisés?

À environ 40 kilomètres au nord de Timmins, sur l’autoroute 655, nous avons 15 tronçons d’essai où l’asphalte contient des fibres de bouteilles en polyéthylène téréphtalate (PET) recyclé, et l’un d’entre eux durera 40 ans. La norme actuelle dans le Nord de l’Ontario est de 15 ans pour les routes asphaltées. Nous pouvons faire presque trois fois mieux en utilisant cette composition.

À Kingston, en Ontario, un contrat a été conclu pour la rue Princess, et sept portions de la rue ont encore l’air fraîchement asphaltées après plus de 12 ans. On constate une amélioration spectaculaire une fois que de meilleures méthodes d’essai ont été appliquées et que les matériaux ont été testés conformément au contrat d’asphaltage. Dans la région de Durham, en Ontario, nous avons doublé et triplé la durée de vie de tronçons de rues et de routes dans le cadre de centaines de contrats.

Un tronçon de dix kilomètres de la Transcanadienne, au nord du parc Algonquin, a été construit en 2011 et n’a pratiquement pas de fissures. Ce tronçon pourrait être utilisable pendant 60 ou 70 ans avec un recyclage approprié.

Image 1
Deux sections différentes de la rue Princess, à Kingston. L’image de gauche montre une chaussée fissurée; l’image de droite montre une chaussée en bon état.

Comment voyez-vous l’évolution prochaine de vos activités de recherche?

La chimie des processus de recyclage est intéressante. Il existe un procédé appelé recyclage à chaud in situ, qui consiste à broyer la chaussée, à la chauffer et à la revitaliser. Ce procédé coûte environ deux fois moins cher qu’un asphaltage classique et la chaussée dure probablement plus longtemps qu’avec l’asphaltage tel qu’il est réalisé de nos jours. C’est un domaine vers lequel je pense orienter mes travaux de recherche, car il y a là un besoin et aussi une demande énorme.

Nous avons pris quelques engagements, avec certains États américains, pour la construction plus tard cette année et l’année prochaine de tronçons de démonstration intégrant des liants bitumineux de l’Alberta. Nous voulons montrer que nous pouvons utiliser les mêmes méthodes aux États-Unis que celles utilisées actuellement en Ontario. Nous espérons doubler ou tripler la durée de vie de leurs routes.

Le bitume des sables bitumineux de l’Alberta, dont la valeur s’élève à 12 000 milliards de dollars, est le meilleur pétrole brut à utiliser pour fabriquer le liant dont nous aurons besoin. L’activité socioéconomique au Canada est étroitement liée à un bon réseau de transport, et il serait difficile de trouver autre chose pour tripler la durée de vie de nos routes. Nous pouvons affirmer sans hésitation que nous avons réussi. Tout le monde utilise l’asphalte tous les jours. Des centaines de milliards de dollars de marchandises sont transportées chaque jour. Les routes asphaltées ont une valeur inestimable, et elles existeront aussi longtemps qu’il y aura des voitures sur nos routes, qu’elles soient à essence ou électriques.

On m’a récemment demandé pourquoi j’étais encore ici à faire ce travail. Je suis le benjamin d’une fratrie nombreuse; j’ai donc appris certaines choses de mes frères et sœurs plus âgés, mais la principale chose que ma mère m’a enseignée est de ne jamais abandonner. Pour réussir dans la recherche, il faut avoir du cran, être persévérant et ne jamais abandonner!

Cette entrevue a été révisée pour plus de concision et de clarté.

Simon Hesp

Simon Hesp est professeur titulaire au département de chimie de la Queen’s University, où il a fondé le Hesp Research Group. Il a travaillé en partenariat avec la société Impériale et le ministère des Transports de l’Ontario, entre autres, pour améliorer l’industrie de l’asphalte. Il a participé à la conception, à l’évaluation et au suivi de plus de 50 tronçons d’essai à Lamont, à Petawawa, à Cochrane, à Hearst et dans les régions d’Ottawa et du Grand Toronto.

Pour en savoir plus sur les travaux de M. Hesp, lisez l’article « Lessons learned from 60 years of pavement trials in continental climate regions of Canada » (en anglais seulement), paru dans le Chemical Engineering Journal.

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